Auteurs de l’article : Michel DUMOULIN, Delphine GRANGE
Les amateurs de vin se souviennent peut-être de la fin des années 1990 et du début des années 2000 comme d’une période trouble dans l’histoire du vin. En effet, les filières vitivinicole et bouchonnière font alors face à une recrudescence des déviations sensorielles de type “moisi”.
Si la molécule de 2,4,6-trichloroanisole apparaît comme la première responsable de ce défaut, d’autres molécules présentes dans les vins peuvent en être à l’origine. Les années 2000 voient ses millésimes de plus en plus souvent marqués par des défauts sensoriels de “goût moisi-terreux” (GMT) ou “d’arôme de champignons frais” (ACF) (2000, 2002, 2004, …). Et ces défauts semblent essentiellement liés à la qualité sanitaire du raisin. En effet, de plus en plus de vendanges sont impactées par le développement de moisissures, un phénomène renforcé par le dérèglement climatique.
Rien de très réjouissant, ni pour les consommateurs qui ont parfois de mauvaises surprises au moment de déguster une bonne bouteille entre amis, ni pour les divers acteurs de la filière que cette crise pousse à s’interroger et à investiguer sur ces arômes non désirés.
Par ailleurs, c’est précisément à ce moment que différentes innovations analytiques voient le jour : SPME, GC/MS devenues plus accessibles, GC 2D, olfactométrie, … Et cela tombe bien car elles permettent enfin d’identifier les marqueurs chimiques responsables de ces défauts dans les vins.
Les goûts “moisi-terreux” (GMT)
La principale coupable du tristement célèbre “goût moisi-terreux” est la géosmine. Ce composé, d’abord identifié dans les eaux de consommation humaine, a pu être détecté dans les vins au début des années 2000.
Il se caractérise par son faible taux de perception (40 à 60 ng.L-1) et par ses arômes de terre humide, de moisi, ou encore de betterave rouge. Elle peut se retrouver aussi bien dans les vins rouges que dans les vins blancs et traverse tout le processus de vinification sans dégradation, y compris durant la phase de fermentation alcoolique.
Mais la vraie question reste entière : comment la géosmine se retrouve-t-elle dans les vins ? C’est en 2011 que divers travaux permettent enfin de répondre à cette épineuse question. En effet, on identifie alors le système microbiologique en cause dans l’apparition de la géosmine et des GMT dans les vins : c’est l’association de Botrytis cinerea et Penicillium expansum sur les raisins qui est le plus souvent la cause de ce défaut sensoriel.
Précisons tout de même que d’autres molécules peuvent être responsables de ces GMT, mais de manière bien plus anecdotique. C’est le cas du 2-methylisobornéol (2-MIB) ou encore de la 2-isopropyl-3-methoxypyrazine (IPMP). Cette dernière a en réalité été très peu détectée dans les vins français puisque son apparition est surtout liée à la présence, dans les vignes, d’un type de coccinelle asiatique. Enfin, deux autres molécules peuvent être à l’origine de ce goût terreux, le fenchol et la fenchone, mais sont très rarement présentes dans les vins au-dessus de leur seuil de perception.
Les arômes de “champignons frais” (ACF)
Passons maintenant au défaut sensoriel ACF, un peu plus difficile à cerner. On identifie dès 2006 le marqueur chimique associé à ces arômes. Il s’agit de la 1-octène-3-one, composé très instable, et donc particulièrement difficile à analyser.
Son seuil de perception est très bas (20 à 40 ng.L-1) et son analyse reste encore aujourd’hui très délicate à mettre en œuvre. Par ailleurs, la détection olfactive de ce défaut est très fluctuante, non seulement à cause de sa propension à disparaître en réagissant avec certains composés du vin mais aussi du fait de la sensibilité du dégustateur à cette molécule, qui peut varier de manière conséquente d’un individu à l’autre.
Cette fois-ci, les recherches sont plus longues et plus laborieuses avant de pouvoir identifier le système microbiologique associé à la présence d’octénone et des arômes de champignons frais. Ce n’est qu’en 2021 qu’une étude (Meistermann et coll.) met en évidence le rôle activateur d’un Basidiomycète du nom de Crustomyces subabruptus, aux côtés, cette fois encore, de Botrytis cinerea pour produire de l’octénone dans les moûts puis dans les vins.
Comme pour les GMT, précisons que d’autres molécules que l’octénone peuvent, de manière anecdotique ici aussi, engendrer des ACF dans les vins. Il s’agit du 1-octène-3-ol ou du 1-nonene-3-one.
Cependant, des développements récents concernant cette problématique proposent une piste de recherches intéressante. En effet, un nouveau marqueur chimique a été identifié récemment (Léa Delcros and coll., 2023) dans des vins produits à partir de moûts artificiellement contaminés par Crustomyces subabruptus. Il s’agit du 1-hydroxy-octan-3-one dont le seuil de perception serait de l’ordre de 200 μg.L-1 mais dont la détection dans les vins présente une meilleure corrélation avec le caractère ACF.
Des GMT maîtrisés, des ACF à explorer
Pour conclure, la thématique GMT, bien connue et maîtrisée, ne constitue plus aujourd’hui un sujet de priorité majeure ni pour la filière vitivinicole, ni pour les laboratoires d’analyses fines.
En effet, les mesures préventives mises en œuvre à la vigne (effeuillage, éclaircissage, lutte chimique, …) et/ou au chai (tri à la vendange, collage des moûts, conduite des macérations pelliculaires, …) ont permis de contrôler efficacement la présence de la géosmine dans les vins.
La stabilité chimique de la géosmine rend son analyse très facile et la plupart des laboratoires engagés dans la détection des arômes et défauts sensoriels dans les vins sont à même d’en réaliser le dosage en routine et avec une excellente précision. Les producteurs et les consommateurs peuvent donc désormais être tranquilles de ce côté-là, le risque de déguster un vin au goût terreux est relativement faible.
Les ACF en revanche font encore parler d’eux et sont un sujet en activité régulière, à travers la filière champagne, via le CIVC notamment. S’ils ne font pas l’objet de communication publique, une thèse a été publiée sur le sujet ainsi qu’une communication au congrès IVAS 07/2022.
Enfin, de nouveaux systèmes prédictifs ont récemment vu le jour (Gardille et coll., 2021), avec notamment le test forcé par microdistillation pour prévoir le potentiel octénone des moûts (BNIC) (qui se rapproche du test de prédiction utilisé en brasserie pour le potentiel nonénal), ainsi que les tests immunologiques rapides dirigés vers des métabolites de Botrytis Cinerea comme l’acide mucique.
Références bibliographiques :
- Behr, M. et coll. ; Earthy and Fresh Mushroom Off-Flavors in Wine: Optimized Remedial Treatments. Am. J. Enol. Vitic. 2013, 64:4. 546-550.
- Darriet, P. et coll.; Impact Odorants Contributing to the Fungus Type Aroma from Grape Berries Contaminated by Powdery Mildew (Uncinula necator); Incidence of Enzymatic Activities of the Yeast Saccharomyces cerevisiae. J. Agric. Food Chem. 2002, 50, 3277-3282.
- Delcros L. Identification de fraction glycosilés d’octénone. Congrès IVAS 2022.
- Delcros L. Thèse : Compréhension des voies de biosynthèse et identification des molécules et précurseurs responsables des arômes de type champignon frais dans les vins en Champagne. 2023.
- Dumoulin, M. Analyses de marqueurs chimiques associés aux déviations sensorielles GMT (Goût Moisi-Terreux) et ACF (Arômes de Champignon Frais) dans des échantillons de moûts de raisins. Revue des Œnologues 2011, n° 141 Hors-Série.
- Gardille, C. et coll.; Les altérations de type Arômes de Champignon Frais (ACF). Le Vigneron Champenois. Edition Mai 2021, 34-57.
- IFV, CIVC, IUVV. Programme national de recherche ACF-GMT : Etude des défauts à caractère fongique des raisins et des vins. 2011. Compte-rendu, FranceAgriMer.
- La Guerche, S. et coll. ; Characterization of Some Mushroom and Earthy Off-Odors Microbially Induced by the Development of Rot on Grapes. J. Agric. Food Chem. 2006, 54, 9193-9200
- Meistermann, E. et coll. ; Treatment with different fining agents of white musts from spoiled wine grapes. Wine Studies. 2017, 6:6871, 10-14.
- Meistermann, E. et coll. ; A Basidiomycete Fungus Responsible for Fresh Mushroom Off-Flavour in Wines : Crustomyces subabruptus, OENO One. 2021, 3, 283-298.
- Meistermann, E. et coll. ; Origin of fresh mushroom off-flavor in wine. IVES Technical Reviews. January 2022.
- Pons, M. et coll. ; Identification of Impact Odorants Contributing to Fresh Mushroom Off-Flavor in Wines: Incidence of Their Reactivity with Nitrogen Compounds on the Decrease of the Olfactory Defect. J. Agric. Food Chem. 2011, 59, 3264-3272